“Vous saviez qu’on parle aussi l’anglais au Cameroun ?”, interroge, presque accusateur, Akor Pelkings, Camerounais de 25 ans au regard pénétrant, depuis un camp de réfugiés situé dans l’est du Nigeria.
Arrivé au Nigeria il y a trois ans, le jeune homme fait partie du million de Camerounais anglophones forcés de fuir leur domicile à cause du conflit séparatiste qui sévit depuis 2017 dans les deux régions de l’Ouest du Cameroun.
L’armée camerounaise y combat des groupes séparatistes qui veulent créer un État indépendant pour les anglophones du Cameroun, qui s’estiment marginalisés dans ce pays où l’on parle majoritairement le français, héritage de la colonisation.
“Pourquoi personne ne se soucie de nous ?”, relance, plus virulent, Akor Pelkings. “Nos vies sont détruites, mais tout le monde s’en fout. De quelques jours, on est passé à des mois et maintenant à des années”, fulmine-t-il.
Le conflit anglophone a plongé le Cameroun “dans sa pire crise humanitaire depuis l’indépendance”, tuant environ 6.000 personnes, selon le groupe de réflexion International Crisis Group (ICG).
Et comme Akor Pelkings, ils sont 70.000 anglophones à avoir fui au Nigeria, pays avec lequel ils partagent une frontière, mais surtout la même langue.
Mis bout à bout, les effroyables récits de dizaines de ces réfugiés, interrogés fin janvier par l’AFP, dessinent les contours d’un conflit meurtrier qui s’enlise depuis cinq ans dans l’indifférence.
Qu’ils soient partis en 2017, ou il y a quelques mois seulement, tous racontent quasiment la même histoire.
D’abord, les arrestations. Les voisins ou les proches, partisans de la sécession, embarqués dans des fourgons, et qu’on n’a plus revus.
“Dans mon village, personne n’a jamais jeté de pierre aux militaires, mais tellement de jeunes ont été arrêtés”, témoigne Gerard Tiko’Or Akenji, depuis la ferme qu’il a fondée dans l’un des camps établis par le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR), à Ogoja, dans l’est du Nigeria.
Arrêté quatre fois entre 2017 et 2019, “j’ai été torturé”, affirme ce Camerounais de 45 ans, qui a fui “au Nigeria en mars 2019 par peur de mourir”.
– “Prêt à courir” –
Ensuite, les coups de feu. L’incessant crépitement des armes qui réveille dans la nuit et terrifie jusqu’au matin.
Quand ils s’affrontaient, “je dormais la porte ouverte, mes baskets aux pieds, prêt à courir”, se souvient l’agriculteur.
“Le bruit des armes et des explosifs a tué de nombreuses personnes âgées, elles sont mortes de peur”.
Puis, ce sont les écoles qui ont fermé.
“Dès le début du conflit, j’ai dû arrêter mes études”, raconte Akor Pelkings, qui rêvait d’entrer à l’université, et élève désormais des poulets dans ce camp.
En septembre 2021, deux écoles sur trois étaient fermées dans les deux régions anglophones, privant d’éducation 700.000 enfants et adolescents, selon l’ONU.
Des centaines d’écoles y ont été attaquées, selon Human Rights Watch. Quasiment toutes par des séparatistes qui refusent qu’on y enseigne le français.
Mais ici, où la plupart des réfugiés embrassent la cause séparatiste, “personne ne vous le dira”, confie une source humanitaire.
L’accès aux soins s’est aussi terriblement détérioré, les centres de santé étant fréquemment attaqués ou occupés.
Chu Bernice Chang se souviendra de son premier accouchement: à 21 ans elle a donné naissance, chez elle, sans aucune aide. L’hôpital de son village servait alors de base arrière pour l’armée, explique-t-elle.
– Cinq euros par mois –
Mais ce sont surtout les centaines de villages incendiés, terrible punition pour avoir aidé un des deux camps, qui ont décidé la plupart à fuir. Souvent, du jour au lendemain.
“Mon village a été attaqué six fois”, raconte Odilia Ntong, femme de 50 ans à l’allure élégante. Un jour, “les militaires ont détruit ma maison, je n’avais plus rien, alors je suis partie”.
Plus de 250 villages ont été détruits, selon un décompte de l’ICG.
Pour Mme Ntong, a commencé alors un périple de “cinq jours à travers la brousse” avec neuf autres femmes, à “dormir à même le sol”, la faim au ventre, avant d’enfin réussir à traverser la frontière.
Aujourd’hui, elle habite à Takum, une ville de l’est du Nigeria, dans une minuscule pièce qu’elle loue 1.500 nairas (3 euros) par mois.
Pour survivre, elle vend difficilement des bonnets traditionnels sur le marché, et reçoit du HCR, comme tous les réfugiés au Nigeria, 2.600 nairas (5 euros) par mois.
“C’est une crise qui est invisible, le nombre de réfugiés ne fait qu’augmenter depuis cinq ans, et pourtant les fonds alloués par les donateurs ont diminué”, alerte Roland Schönbauer, porte-parole au Nigeria du HCR.
“Ici, on est en sécurité, mais nous avons faim, alors beaucoup repartent au Cameroun”, tempête Akor Pelkings. “Ils vivent dans la brousse, certains ont été tués”, souffle le garçon, qui passe soudainement de la colère à la résignation.
“Je n’ai plus d’espoir, cela fait cinq ans, rien ne change, et personne ne veut regarder ce qu’il s’y passe”.
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