Le mouton est mort en premier. Puis ce fut le tour des chèvres. Lorsque son unique chameau a succombé, Yurub Abdi Jama a su que sa vie d’éleveuse était terminée et elle a, comme beaucoup d’autres, quitté son village pour gagner la ville.
Depuis toujours, les siens élevaient du bétail sur cette terre aride et prompte aux sécheresses. Mais ils n’ont pu affronter un nouvel épisode sévère en 2018-2019, qui a brûlé le sol et décimé les bêtes.
“Dans le passé, Dieu nous aurait toujours laissé quelque chose, mais aujourd’hui… Nous avons dû fuir. Tu vas où tu peux quand tu as tout perdu”, raconte Jama, accroupie devant la hutte où elle vit désormais, près d’Hargeisa, à des centaines de kilomètres de chez elle.
Jama est une réfugiée climatique – tout comme des dizaines de milliers de personnes en Somalie, où les épisodes climatiques extrêmes poussent des vagues d’éleveurs et d’agriculteurs vers des villes peu équipées pour les accueillir.
Ces dernières années, les désastres naturels – et non les conflits – ont été la principale cause des déplacements en Somalie, qui, en plus d’être ravagé par la guerre, est un pays classé parmi les plus vulnérables au réchauffement climatique.
Les sécheresses, fréquentes et sévères, ainsi que les inondations, ont déplacé plus de trois millions de Somaliens depuis 2016, selon des données du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Le phénomène est en train de vider des zones entières de l’intérieur de la Somalie, faisant croître d’immenses camps à l’extérieur des villes.
– Irrépressible avancée –
A son arrivée, sans un sou, Jama a trouvé refuge avec d’autres nouveaux arrivants dans un campement de fortune à l’extérieur de Hargeisa, parvenant à construire tant bien que mal une hutte pour elle, son mari et leurs huit enfants.
Mais cette famille d’éleveurs n’est pas armée pour gagner sa vie en ville, où le chômage et la pauvreté sont endémiques.
A l’aube, le mari de Jama quitte l’abri à la recherche d’un travail. Mais la plupart du temps, il rentre les mains presque vides.
Uba Adan Juma, arrivée il y a trois ans lorsque ses chèvres sont mortes, peine elle aussi à nourrir sa famille. “Je ne gagne presque rien en ville”, dit-elle.
Les deux femmes viennent du Somaliland, une région du nord-ouest isolée, où le changement du climat a bouleversé la vie quotidienne en seulement quelques générations.
Les communautés pastorales avaient pour tradition de donner des noms aux plus grandes sécheresses, espacées d’à peu près une décennie.
“Mais maintenant (…) les sécheresses sont tellement fréquentes qu’elles n’ont plus de nom”, affirme à l’AFP la ministre régionale de l’Environnement du Somaliland, Shukri Haji Ismail.
Le pays de son enfance était plus vert, parsemé de savanes et d’arbres fruitiers, habité par des oiseaux et des animaux.
Dans son bureau, une carte illustre le changement: depuis l’Ethiopie jusqu’au Golfe d’Aden, des bandes rouges indiquent l’irrépressible avancée du désert.
“Le Somaliland fait l’expérience – concrètement – du mot +changement climatique+”, dit-elle: “Il ne s’agit pas de quelque chose qui pourrait arriver. C’est ici, c’est là, et nous le vivons (…) Notre peuple a vraiment souffert”.
– “La vie que nous aimions” –
La Somalie vient de connaître deux saisons consécutives de pluies en-dessous des normales, et une troisième s’annonce.
Les récoltes ont été faibles et le Famine Early Warning Systems Network, une organisation de surveillance de la sécurité alimentaire, prévoyait en août que la faim allait empirer d’ici la fin de l’année, avec 3,5 millions de personnes en besoin urgent d’aide alimentaire.
Et même lorsqu’elle finit par tomber, la pluie n’est pas toujours une bénédiction.
La Somalie a connu en 2020 d’énormes inondations, ainsi que le pire cyclone jamais enregistré.
Selon les projections, les pluies vont devenir plus irrégulières et plus extrêmes en Somalie dans les années à venir, accélérant l’exode rural et provoquant plus de conflits autour des maigres ressources, note Lana Goral, de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
“C’est un tableau plutôt sombre”, poursuit cette experte du changement climatique et des migrants pour la Somalie.
La capacité d’action de ce pays fédéral, dont les gouvernements régionaux manquent de ressources, est très limitée.
Certains législateurs ont proposé de réimplanter certaines communautés vers les côtes mais “il faut du temps pour changer les mentalités”, pointe la ministre Shukri.
De son côté, Jama insiste: “La sécheresse nous a poussés à partir. Nous n’aurions jamais quitté cette vie, la vie que nous aimions”.
Mais même rentrer n’est pas une option. Lors d’une récente visite à son village, où elle espérait retrouver des proches, cette femme de 35 ans n’a trouvé qu’un lieu fantomatique: pas un humain, pas une bête, pas un signe de vie.
Les puits étaient alors pleins. Mais il n’y avait plus personne pour boire cette eau.