Notre invité de la semaine est le président du Conseil national de la transition de Guinée, l’organe législatif non élu, mis en place après le coup d’Etat militaire de 2021.
Dansa Kourouma et des conseillers du CNT sont en Europe pour présenter l’avant-projet de la nouvelle Constitution.
Après trois ans de pouvoir militaire, l’avant-projet de constitution fait l’objet en ce moment d’explications dans le pays et au sein de la diaspora.
Au micro de Bob Barry, le président du Conseil national de la transition, Dansa Kourouma, s’exprime sur ce nouveau texte, mais aussi sur les accusations d’atteinte aux droits humains en Guinée, notamment depuis la disparition de deux activistes du Front national de défense de la Constitution. Ecoutez l’entretien en cliquant sur la photo ci-dessus.
Interview de Dansa Kourouma
DW : Dansa Kourouma, vous êtes le président du Conseil national de la transition (CNT), en Guinée. Comment se déroule actuellement la vulgarisation de l’avant-projet de constitution ?
On a prévu de changer les procédures parce que les cinq Constitutions que la Guinée a connues depuis son indépendance ont été très peu vulgarisées. Les populations n’ont pas eu la possibilité de se prononcer sur l’avant-projet, avant que le texte soit soumis au référendum. Alors, comme c’est une transition qui met un focus sur la refondation, on a décidé que l’avant-projet de la nouvelle Constitution devait être vulgarisé, discuté, débattu avant de passer au projet proprement dit.
Après la Guinée, où nous avons eu l’occasion de discuter avec tous les acteurs de la vie nationale, à savoir : les partis politiques, la société civile, les religieux, les notabilités, les institutions de la République et le gouvernement qui ont eu l’occasion de débattre avec les conseillers nationaux sur le contenu de cette constitution, de cet avant-projet de constitution, nous sommes en Europe pour discuter, débattre du sujet avec les médias internationaux. Et permettez-moi de vous dire que la première Constitution de la Guinée, qui a été approuvée le 10 novembre 1958, n’a eu que 18 mois de discussion avant d’être approuvée.A lire aussi : Guinée : Amadou Oury Bah répond aux questions de la DW
Et pour celle qui a suivi ça, la Constitution du 14 mai 1982, il y a eu six jours entre la mise en place de l’Assemblée constituante et l’adoption de cette Constitution. Alors aujourd’hui, nous sommes à 20 mois de vulgarisation et de discussion de l’avant-projet depuis son initiation jusqu’à sa publication.
On reproche souvent aux constitutions africaines de ne pas être la propriété collective des citoyens et des communautés. Comment vous avez fait alors pour impliquer les citoyens à la base à la rédaction de cet avant-projet de constitution ?
Effectivement, notre processus a voulu démentir ce constat. C’est pourquoi tout a commencé par des missions de consultation des populations dans toutes les collectivités de la Guinée. Les conseils nationaux ont été déployés dans les communes rurales, dans les communes urbaines et dans les grandes agglomérations pour discuter avec les acteurs politiques, les acteurs de la société civile, avec les citoyens tout court sur leurs attentes de la nouvelle Constitution.
Ces attentes ont été mentionnées dans un document de référence que nous avons appelé « Les lignes directrices de la nouvelle Constitution ». Après ce travail, nous avons organisé ce qu’on appelle le symposium sur le constitutionnalisme, où nous avons associé à l’analyse du parcours constitutionnel de la Guinée des experts guinéens, des juristes constitutionnels guinéens et africains. Ensuite, nous avons organisé le débat d’orientation constitutionnelle qui a mis en dialogue direct les membres du CNT et les acteurs politiques et sociaux du pays.
Enfin, en plus des Assises nationales qui ont été organisées par le gouvernement, nous avons décidé, après la sortie de l’avant-projet, de le soumettre à un dialogue direct avec le gouvernement, avec les institutions républicaines, avec les partis politiques, avec les religieux, avec les sages, etc.
Donc, l’innovation la plus importante est que cette constitution a été pensée avec le peuple, élaborée avec le peuple et, aujourd’hui, on la soumet au peuple pour qu’il puisse la discuter et apporter des amendements.
Dr Dansa Kourouma, l’une des innovations contenues dans cet avant-projet de Constitution, disponible sur internet, est la possibilité donnée aux candidatures indépendantes. Vous dites que la Constitution n’a pas pour vocation de se focaliser sur une personne. Mais en Guinée, vous le savez, plusieurs membres issus de l’opposition en exil disent que ce ne serait qu’une porte ouverte pour permettre la candidature du président de la Transition, le général de brigade Mamadi Doumbouya, à la prochaine élection présidentielle. Qu’en dites-vous ?
Si ce n’est pas de la mauvaise foi, ces acteurs politiques, ces aînés doivent savoir que le combat pour la candidature indépendante a commencé il y a 20 ans.
Je me rappelle bien, j’étais membre de l’Assemblée constituante de 2010 qui a rédigé la Constitution de 2010, une constitution qui a été très appréciée. Mais pendant le débat, la candidature indépendante a été soumise au vote. Ceux qui étaient des défenseurs de la candidature indépendante ont été mis en minorité à cause de l’influence des partis politiques.
Et j’ose vous dire que la candidature indépendante est la modalité la plus manifeste de l’ouverture démocratique dans un pays. On ne peut pas réduire les candidatures aux élections aux partis politiques seulement. Donc, une fois encore, penser que c’est fait pour les dirigeants actuels, je pense que c’est de la mauvaise foi. Aujourd’hui, les partis politiques se bousculent pour présenter la candidature de X ou de Y.
C’est tellement facile d’être représenté par un parti politique en Guinée parce que nous savons que dans notre histoire, il y a plusieurs leaders qui n’étaient pas fondateurs de leur parti politique, mais ils l’ont acheté à d’autres citoyens.
Deux membres influents du gouvernement de transition, à savoir le porte-parole du gouvernement, Ousmane Diallo, et le ministre secrétaire général de la présidence, le général Amara Camara, se sont ouvertement demandé, si le général Mamadi Doumbouya se présentait pour une présidentielle en Guinée, qui le soutiendrait ? Que pensez-vous de ces déclarations ?
Je l’ai dit sur d’autres chaînes internationales que la notion de candidature est une notion strictement individuelle. Donc, je ne fais pas de commentaire sur la volonté des citoyens guinéens de vouloir soutenir un autre citoyen guinéen pour une quelconque candidature. Je ne peux pas faire de commentaire sur ça, parce que c’est un acte strictement individuel. C’est une décision individuelle. Ce n’est pas une décision collective.
Depuis plus de deux mois, Dr Dansa Kourouma, l’on est sans nouvelles de deux activistes du FNDC : Foniké Mengué et Mamadou Billo Bah. Sont-ils toujours en vie ?
Je ne saurais répondre à cette question, mais mon souhait le plus ardent, c’est de retrouver ces deux compatriotes sains et saufs. D’abord, ce sont des acteurs que j’ai côtoyés dans la société civile. Ce sont des compatriotes guinéens et le rôle essentiel de l’État, c’est d’assurer la sécurité, la protection des personnes et de leurs biens.
Aujourd’hui, je suis à la tête de l’organe législatif de la République de Guinée. Je compatis à la peine et je souhaite que la justice, qui a déjà pris le dossier en main, puisse, dans la plus grande diligence et dans la plus grande efficacité, apporter des éléments factuels, des éléments tangibles, en termes d’indice sur ces deux compatriotes dont la situation inquiète tous les patriotes, inquiète leur famille et inquiète les citoyens de notre pays.
Donc vous ne savez pas, non plus, où ils se trouvent actuellement ?
Si je pouvais répondre à cette question, je le ferais et je serais allé les chercher. Mais ce qui est important est que la justice, qui est chargée d’élucider cette situation, s’est déjà prononcée sur le sujet et le procureur général de Conakry, qui est l’instance judiciaire habilitée à diligenter une enquête, a déjà dit que l’enquête est en cours.
Nous prions pour que cette enquête puisse aboutir à des conclusions qui puissent apaiser les familles et toutes les autorités du pays.
Les opposants Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré qui vivent en exil, accusent le régime de transition de vouloir les exclure du jeu politique. Est-ce qu’il n’est pas temps qu’ils rentrent au bercail pour participer justement à la vie politique ?
Il n’y a aucune décision politique, aucune décision judiciaire qui exclut, qui empêche ces deux compatriotes de retourner au pays. Je précise que leur sortie était libre, consentante. Ils ont décidé, après avoir été séquestrés et après avoir été bâillonnés sous le régime du président Alpha Condé, de sortir du pays pour aller se soigner, pour aller se reposer. Ils sont sortis librement, accompagnés à l’aéroport avec tous les honneurs dus à leur rang. Alors il n’y a aucune décision qui leur interdit de revenir en Guinée.
Mais ils soupçonnent le régime militaire de vouloir les arrêter en les accusant de malversations financières.
Il y a plusieurs leaders politiques en Guinée qui ont été cités dans des cas de malversations.
Certains sont en procès, d’autres se promènent et viennent répondre aux questions du juge. Pour l’instant, il n’y a eu aucune procédure engagée contre nos deux compatriotes qui sont à l’extérieur. Si vous êtes au courant, vous pouvez m’en informer.
Il y a quelques jours, le colonel Claude Pivi, condamné à perpétuité dans le procès du massacre du 28 septembre 2009, a été arrêté au Libéria. Il est finalement entre les mains des autorités guinéennes.
… Le Liberia où un homme a été arrêté pour des faits de déstabilisation visant la Guinée en complicité avec l’ancien président Alpha Condé. Qu’en dites-vous ?
D’abord, je salue l’efficacité de la justice guinéenne, je salue l’efficacité des services de sécurité de la Guinée, mais aussi la bonne coopération entre les autorités guinéennes et les autorités libériennes. Sans cette bonne coopération, on n’aurait pas pu mettre la main sur le colonel Claude Pivi.
Maintenant, il faut être objectif. La Guinée et le Libéria ont un destin commun. La guerre civile du Libéria qui a duré plus d’une décennie a impacté économiquement, socialement et humanitairement la Guinée. Mais comme ce sont des frères et des sœurs qui vivent en territoire libérien, la Guinée a assumé cette relation et le Libéria n’a pas oublié ça. Ceux qui dirigent le Libéria aujourd’hui en sont des témoins oculaires.
N’est-ce pas de cette collaboration entre la Guinée et le Libéria qu’on a pu mettre fin à la guerre civile qui a frappé ce pays frère ? Alors le Libéria ne servira pas de terrain de déstabilisation de la Guinée. Ceux qui le pensent, c’est mal connaître la nature des relations diplomatiques, des relations sociales et séculaires entre nos deux pays. La coopération des autorités libériennes à éliminer tous les risques d’insécurité visant la Guinée est palpable à travers le cas du colonel Claude Pivi.
Mais en ce qui concerne l’ex-président Alpha Condé, celui-ci est accusé d’avoir remis 150.000 $ à un individu qui serait arrêté au Liberia, dans le but de déstabiliser la Guinée.
La procédure, heureusement, a été déclenchée par les autorités judiciaires libériennes qui sont chargées d’élucider les faits. Je ne fais pas de commentaire dans une procédure judiciaire dont je n’ai pas tous les éléments factuels.
Quand aura lieu le référendum constitutionnel en Guinée ?
Le référendum constitutionnel est prévu à la fin de cette année, si tout va bien. Parce que la Constitution qui doit faire l’objet du référendum est en débat et le débat se poursuit au niveau de la diaspora.
Tous les éléments techniques, les éléments juridiques et les éléments politiques nécessaires pour finaliser le processus d’approbation de la Constitution sont en place. Donc, il n’y a pas de raison pour que cette Constitution ne soit pas prête d’ici le 31 décembre 2024. Mais il y a d’autres éléments qui sont importants, dont la mise en place d’éléments techniques par l’administration électorale, le fichier électoral et le processus de préparation matérielle du référendum. Je ne pourrai pas me prononcer sur ça parce que ce n’est pas du ressort de mon institution.
Quand aura lieu la prochaine présidentielle ?
Si je connaissais cette date-là, cela voudrait dire que l’État guinéen ne fonctionne pas normalement.
Ce n’est pas de mon attribution, ce n’est pas de ma compétence de fixer la date des prochaines élections, mais ce qui nous concerne en tant qu’organe législatif, restons dans le cadre de nos attributions, c’est de faire les lois, y compris la Constitution elle-même, qui doit servir de support essentiel pour l’organisation des prochaines échéances électorales, notamment le référendum, les élections locales, les législatives et la présidentielle.
Pour le moment, et si je m’en tiens aux propos du ministre des Affaires étrangères, tous les éléments seraient en train d’être mis en place pour que 2025 puisse connaître la tenue de toutes les élections qui sont promises pour mettre fin à cette transition.