Les divergences de point de vue sur l’avenir de la bande de Gaza entre le Premier ministre israélien et ses alliés occidentaux s’affichent désormais au grand jour. À deux reprises la semaine dernière, Benyamin Netanyahu a rejeté toute souveraineté palestinienne sur la bande de Gaza, voire sur la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Trois questions à Denis Charbit, professeur associé en sciences politiques à l’Open University d’Israël.
RFI : Depuis le début de la guerre de Gaza, Benyamin Netanyahu avait entretenu une certaine ambiguïté sur l’avenir qu’il envisageait pour l’enclave palestinienne. S’agit-il d’une clarification de sa position ?
Denis Charbit : Sans aucun doute. Netanyahu se met peut-être déjà en situation de campagne électorale. Il veut s’afficher comme le seul capable de pouvoir s’opposer à la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël. Il surfe sur l’ambiance qui règne aujourd’hui dans son pays, et qui se montre extrêmement sceptique à l’égard de tout ce qui ressemblerait à un processus de paix. Parce que le fossé s’est tellement creusé depuis le 7-Octobre, Netanyahu estime devoir se présenter comme le seul qui pourrait s’opposer à une pression internationale. Et il affiche donc un désaccord avec l’administration américaine qui, elle, prône une solution politique.
Mais en Israël, cette expression apparaît dans le meilleur des cas comme prématurée. Pour toute la droite et l’extrême droite, le 7-Octobre est en quelque sorte le clou sur le cercueil de tout processus de paix. Mais l’ampleur du massacre et les méthodes du massacre de masse dissuadent tout Israélien de penser qu’une paix est possible et proche. Et dans le meilleur des cas, certains estiment qu’il faut passer par une longue période de transition, trouver des phases intermédiaires qui peuvent ne pas exclure à long terme la création d’un État palestinien, une souveraineté palestinienne. Mais ça ne peut pas se faire sans une direction palestinienne qui, actuellement, est totalement absente.
Washington jeudi, Londres ce week-end, Bruxelles ce lundi : les alliés d’Israël ont exprimé leur désaccord après les propos de Benyamin Netanyahu. Est-ce qu’Israël peut se permettre cet isolement diplomatique ?
Ce hiatus était prévisible. Au départ, l’Union européenne et l’administration américaine ont appuyé les représailles israéliennes parce que le premier coup avait été tiré par le Hamas. Mais ce qu’ils auraient souhaité, c’est que l’élimination du Hamas se fasse rapidement avec le moins de victimes civiles possibles. Et l’écart se creuse entre le soutien de principe à l’opération israélienne, l’absence de débouchés, même à long terme, d’un processus de paix, et une volonté politique du côté d’Israël. Ça explique des prises de position un peu fermes. Et tant que Netanyahu sera en campagne électorale virtuelle, avec ce type d’échange, d’escarmouche, le fossé n’ira qu’en s’aggravant.
Mais toutes ces déclarations portent uniquement sur le conflit israélo-palestinien. À cet égard, je comprends très bien l’impatience des Européens, qui souhaiteraient qu’à la faveur de cette crise majeure s’ouvre une fenêtre d’opportunité pour qu’un processus de paix reprenne. Mais si on les replace dans le contexte régional – le Hezbollah au nord, les Houthis au sud et les Iraniens à l’est –, je pense que là, pour le coup, les Européens sont en phase avec le gouvernement israélien et plus exactement avec l’État d’Israël et les Israéliens. Tout le problème, c’est qu’ils ont Netanyahu comme partenaire et que c’est une sorte de couleuvre un peu difficile à avaler. Depuis qu’il est au pouvoir, il n’a pas cessé de frustrer les ambitions régionales, européennes et américaines.
Les alliés d’Israël misent-ils donc sur un après-Netanyahu ?
J’ai le sentiment que dans l’Union européenne comme dans l’administration américaine, on est à peu près certains que l’ère Netanyahu est finie. Il est politiquement incapable d’assumer le jour d’après. Le 7-Octobre a été un choc très réel et authentique pour les Israéliens, qui sont figés depuis. Mais il y aura bien un moment où la politique reprendra ses droits. Et c’est effectivement la responsabilité et le rôle peut-être historiques des deux ministres centristes du cabinet de guerre, Benny Gantz et Gadi Eisenkot, que de trouver une voie médiane pour être plus à l’écoute de l’Union européenne tout en restant à l’écoute de l’opinion israélienne.
Mais Benyamin Netanyahu mise aussi sur un changement de président aux États-Unis. Et c’est là la complexité de la situation actuelle. Il comprend bien qu’il a encore dix mois à tenir bon. Et il n’est pas exclu que la guerre tienne encore quelque temps pour s’approcher du calendrier électoral, il peut espérer que Donald Trump l’emporte. Et à ce moment-là, tout l’échafaudage qu’on est en train d’élaborer se révélera être un château de cartes qui s’effondrera. Il est évident que Trump ne devrait pas surprendre et qu’il devrait vraisemblablement soutenir Netanyahu. Donc, tout le pari pour le Premier ministre, c’est de tenir dix mois avant de provoquer des élections.
rfi
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