Sa tête a été placée devant leur porte, décapitée pour avoir répondu aux djihadistes. Deux ans déjà, mais Zara Alifa Assumane, Mozambicaine de 62 ans, reste hantée par les images de sa belle-sœur, sauvagement tuée et mutilée par ces groupes armés.
Cette survivante vit désormais dans un camp de déplacés à Montepuez, 150 km à l’intérieur des terres. L’endroit s’est peu à peu transformé en petite ville, au rythme des attaques et des vagues d’arrivée de ceux qui fuient. Des échoppes se sont installées, un coiffeur, un tailleur. Des enfants vendent des œufs pour quelques pièces.
Ils sont des milliers. Depuis plus de quatre ans, la province riche en gaz naturel du Cabo Delgado (nord-est), frontalière avec la Tanzanie, est en proie à des attaques de groupes armés djihadistes. Les violences ont tué 3 700 personnes, forçant 820 000 autres à quitter leur foyer.
Ce jour-là, ils ont débarqué dans un village et ordonné à tout le monde de sortir. “Ils ont décapité ma belle-sœur parce qu’elle leur a répondu”, raconte Zara. Et si le message n’était pas clair, ils lui ont aussi tranché la langue, souffle-t-elle.
Organisations humanitaires
Cette femme avait un jeune fils. Il a assisté à la scène avant d’être embarqué par les djihadistes. Zara, elle, a réussi à s’enfuir. Elle a rampé dans la jungle, terrifiée. Elle dépend aujourd’hui des organisations humanitaires pour boire, manger.
Ici comme dans toute la région à majorité musulmane, les femmes portent le foulard. Le chant des coqs se mêle à la musique de haut-parleurs accrochés à des panneaux solaires.
Dans un coin, une cabane coiffée d’une antenne annonce le divertissement du jour : Barcelone-Naples. Une récréation, mais seulement le temps d’un match, car au milieu de ce semblant de vie, chacun traîne une lourde histoire.
Pour le responsable de l’ONG sud-africaine JAM active dans le camp, Killen Otieno, le fléau djihadiste est dévastateur. “En 30 ans d’expérience, je n’ai jamais vu ce que j’ai vu au Cabo Delgado”, avoue-t-il.
Tactique de guérilla
Avec ses eaux azur et son sable blanc, la région a des airs de paradis. Mais la violence y est partout visible : des barrages sur les routes, le camp militaire près de l’aéroport de Pemba, capitale de la province. Sur la piste, des avions du Lesotho et du Botswana, parmi les forces régionales envoyées depuis juillet pour épauler une armée mozambicaine dépassée.
Le gouvernement mozambicain met en avant des progrès sur le terrain. Mais les assaillants ont changé de méthode. Se repliant dans la province voisine de Niassa, ils se rendent moins visibles et adoptent une tactique de guérilla.
Cornielo Manuel, un ancien pêcheur de 31 ans, lui aussi déplacé, ne comprend pas l’origine de tout ce malheur. Lorsqu’ils ont attaqué son village, les djihadistes ont crié “Dieu est grand”, se souvient-il. Ensuite, “le sang a coulé, comme une rivière”. Lui s’en est sorti avec des blessures par balles à l’épaule. Les cicatrices sont là.
Certains ont perdu un ami, un enfant. Issa Pedro, 57 ans, n’a jamais retrouvé sa fille de 16 ans, capturée en 2020 à Mocimboa da Praia, ancien fief côtier des “al-shabab”. Selon les ONG et de nombreux témoignages, des jeunes filles ont été kidnappées puis réduites à l’état d’esclaves sexuelles. Et de jeunes garçons enlevés, enrôlés comme enfants soldats.
Reserves de gaz
Les violences ont aussi forcé les géants de l’énergie à ralentir leurs recherches en ressources naturelles. Le Mozambique détient au large de ses côtes les plus grandes réserves de gaz d’Afrique subsaharienne. Le Français Total a dû suspendre son méga projet de 16,5 milliard d’euros. Et n’a pour l’instant aucune perspective précise de retour.
Selon les spécialistes, l’exploitation de ces richesses, dont la région pauvre n’a jamais vu la couleur, nourrissent des griefs envers le gouvernement mozambicain et les rangs des groupes armés.
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