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La gestion des déchets en Tunisie, un gâchis économique

“Quand je vois du plastique, je vois de l’argent”, confie Tarek Masmoudi, patron d’une des rares entreprises de recyclage de Tunisie, pays où les déchets sont majoritairement enfouis sans traitement et où les décharges arrivent à saturation.

Dans le pays maghrébin, la filière de recyclage est pratiquement inexistante. Les déchets sont envoyés dans des centres d’enfouissement techniques (CET) à 85% et le reste s’accumule dans des décharges sauvages, a indiqué à l’AFP Walim Merdaci, expert en gestion de déchets.

La majorité des 11 CET sont censés fermer en 2022, selon Wassim Chaabane, un autre spécialiste contacté en Allemagne.

Et les autorités ont toutes les peines du monde à trouver de nouveaux sites pour enterrer les 2,6 millions de tonnes produits annuellement.

A Agareb (centre-est), un homme de 35 ans est mort, asphyxié par les gaz lacrymogènes, mi-novembre, lors d’une manifestation contre la réouverture de la décharge qui dessert le million d’habitants de Sfax.

Dans le grand Tunis, où vivent plus de 2,7 millions de personnes, on risque des protestations similaires. L’immense décharge de Bordj Chakir reçoit plus 3.000 tonnes de déchets par jour et est remplie à ras bord.

Seulement 4 à 7% des déchets ménagers sont recyclés.

“Quand j’ai commencé en 2009, ce n’était pas aussi rentable” de recycler, raconte à l’AFP Tarek Masmoudi, patron de l’entreprise African Recycling, installée à M’Ghira, près de Tunis.

Depuis son ouverture en 2009, l’entreprise n’a cessé de grandir et valorise aujourd’hui 6.000 tonnes de déchets par an, dont 1.000 de plastique, explique l’industriel de 42 ans, la mine réjouie à sa descente d’un 4X4 de luxe.

– “Enterrer ce qui vaut une fortune” –

La tonne de déchets plastiques qu’il achetait il y a deux mois à 200 dinars tunisiens lui est désormais cédée à 300 dinars par ses fournisseurs dont des dizaines de “barbéchas” (chiffonniers tunisiens), cheville ouvrière de ce recyclage informel.

Dans un va et vient incessant, les Tuk Tuk des chiffonniers et des camions apportent des ballots qui sont pesés, triés, broyés puis transformés en copeaux ou granulés pour l’industrie.

“Le recyclage est un secteur où tout est à faire et qui peut être pourvoyeur d’emplois et de richesses en Tunisie”, estime l’entrepreneur qui fait travailler une soixantaine de personnes en direct et plus de 200 en indirect.

Ses employés sont majoritairement des femmes qui, pour la plupart, “ont un époux au chômage et font vivre toute la famille”, selon la superviseuse Chadlia Guesmi.

“L’Etat paye entre 150 et 200 dinars la tonne pour l’enfouissement. On dépense de l’argent pour enterrer ce qui vaut une fortune”, peste Tarek Masmoudi, furieux du “manque de stratégie et de vision” des autorités.

– “On n’a plus le temps” –

“Le système de gestion des déchets en Tunisie est à côté de la plaque à tous les niveaux, particulièrement au niveau de la collecte”, abonde M. Chaabane, tout en reconnaissant que mettre en place le tri sélectif prendrait des années.

L’Anged (agence nationale de gestion des déchets) qui constate elle-même un manque de moyens, de gestion et planification, a promis dans son dernier plan stratégique, une réduction des déchets pour les années à venir, ainsi que leur traitement.

Face à la saturation des décharges, la Tunisie a opté pour un traitement mécano-biologique (combinaison d’opérations mécaniques de tri et compactage avec le compostage et la méthanisation), explique M. Merdaci. Mais les premiers projets ne verront le jour que dans deux ans. “On n’a plus le temps”, s’inquiète-t-il.

Selon lui, en outre, il y a un problème de financement du retraitement des déchets. “Seuls 25% des citoyens payent la taxe d’habitation incluant une taxe sur les déchets” qui plafonne au niveau dérisoire de 800 millimes (20 centimes EUR) par an, alors que chaque Tunisien produit au moins 365 kg de déchets annuellement.

“Il faut créer une taxe de gestion des déchets et faire payer à chacun la quantité qu’il produit”, préconise M. Merdaci. Cela permettrait aux municipalités qui en ont la tutelle exclusive d’avoir des fonds pour la gestion des déchets.

“Le passage de l’enfouissement au traitement coûtera plus cher, mais on gagnera en termes d’environnement”, explique-t-il.

Pour son confrère M. Chaabane, “il y a urgence” et “la meilleure solution pour les villes (pour traiter de grandes quantités, ndlr) serait l’incinération, avec des technologies propres”.

Même si une telle option aurait, selon lui, un coût élevé: 250 millions d’euros par incinérateur, sans compter les coûts d’exploitation.

“On a eu 10 ans de perturbations politiques, 10 ans de non prise de décisions, on a un problème avec les riverains (pour enfouir des déchets), et on a un problème d’argent. Les indicateurs de réussite sont à zéro”, résume désabusé M. Merdaci.

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