Gambie: la commission “Vérité et Réconciliation” recommande des poursuites contre l’ex-dictateur Yahya Jammeh
Une commission “Vérité et Réconciliation” ayant enquêté en Gambie sur les crimes présumés commis durant les 22 ans de pouvoir de Yahya Jammeh recommande des poursuites judiciaires contre l’ex-dictateur et plusieurs complices présumés devant un tribunal international.
La Commission “recommande la poursuite de Yahya Jammeh et de ses complices devant un tribunal international, dans un pays d’Afrique de l’Ouest autre que la Gambie, sous l’égide de la Communauté économique des Etats ouest-africains (Cédéao) et ou de l’Union africaine”, pour notamment “meurtres, détentions arbitraires, disparitions”, selon le document.
Ce tribunal pourrait être similaire à celui qui a jugé au Sénégal l’ancien chef d’Etat tchadien Hissène Habré, qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990. M. Habré, décédé en août du Covid, avait été condamné à la prison à vie en 2016 par une juridiction africaine pour crimes contre l’humanité, viols, exécutions, esclavage et enlèvement.
“Le Sénégal a (toujours) en place l’infrastructure nécessaire qui avait jugé Hissène Habré. Le Ghana (dont 44 migrants sont présumés avoir été tués sous Jammeh) est une autre option”, de même que la Sierra Leone, dit le rapport de la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRCC), présenté vendredi à Banjul par le ministre de la Justice Dawdu Jallow.
“Durant une période de 22 ans, à partir du 22 juillet 1994 (date de sa prise du pouvoir), Yahya Jammeh et ses collègues (membres de l’APRC, le parti présidentiel) et d’autres co-auteurs ont perpétré de graves crimes en Gambie”, dit le rapport.
Le document en 17 volumes avait été remis le 25 novembre au président Adama Barrow par la commission qui n’avait pas publié son contenu.
La TRCC a rendu compte de l’étendue des crimes perpétrés sous Yahya Jammeh dans ce petit pays pauvre et enclavé d’Afrique de l’Ouest: assassinats, actes de tortures, disparitions forcées, viols et castrations, arrestations arbitraires, chasses aux sorcières, jusqu’à l’administration contrainte d’un traitement bidon contre le sida. Entre 240 et 250 personnes sont mortes entre les mains de l’Etat et de ses agents, selon elle.
La commission, créée en 2017, a entendu de janvier 2019 à mai 2021 393 témoins, victimes et anciens “junglers” (“broussards”), les membres des escadrons de la mort du régime, venus raconter au cours d’auditions publiques parfois bouleversantes les atrocités du régime. De nombreuses dépositions ont directement mis en cause M. Jammeh.
– “livre blanc” du gouvernement-
Le ministre de la Justice Jallow a affirmé que le gouvernement gambien était “engagé à appliquer les recommandations du rapport”. Il a réaffirmé l’annonce déjà faite par le gouvernement de publier “un livre blanc” sur ces recommandations au plus tard le 25 mai 2022.
La commission “appelle à traduire en justice Yahya Jammeh et ses complices. Elle a présenté des preuves relatives à plusieurs crimes de meurtres, tortures et viols et a suggéré un tribunal susceptible de les juger”, a déclaré à l’AFP Reed Brody, avocat américain engagé au côté des victimes.
“Après les puissants témoignages publics (des victimes) devant la TRRC qui ont profondément touché les Gambiens, il va y avoir beaucoup de pressions en Gambie et à l’étranger, pour que justice soit faite sans tarder pour les victimes qui ont déjà attendus cinq ans et parfois, plus longtemps”, a dit M. Brody.
Le rapport de la TRRC est publié deux semaines après la réélection du président Adama Barrow dont l’élection en 2016 a mis fin à plus de 20 ans de dictature.
S’exprimant sur des poursuites contre les auteurs de crimes dans les années Jammeh, M. Barrow avait le 7 décembre, à l’annonce de sa réélection, déclaré: “je prends part à la décision, mais ce n’est pas entièrement ma décision”.
La décision sera prise en concertation avec son gouvernement et après consultation d’experts, avait-il déclaré. M. Barrow a six mois pour se prononcer.
La TRRC avait qualifié dans un rapport intérimaire publié en avril 2020 les violations des droits humains sous Yahya Jammeh de “massives, effroyables et diverses”.
Après la présidentielle de fin 2016 remportée par M. Barrow et six semaines d’une crise à rebondissements provoquée par le refus de M. Jammeh de céder le pouvoir, ce dernier avait finalement dû quitter le pays pour la Guinée équatoriale, sous la pression d’une intervention militaire ouest-africaine et à la suite d’une ultime médiation guinéo-mauritanienne.
Afp