L’universitaire béninois Joël Aïvo, arrêté après la présidentielle d’avril 2021, a écopé mardi de dix ans de prison dans un procès pour trahison, dernière condamnation d’un opposant politique au Bénin où la justice est accusée de servir les intérêts du pouvoir.
Détenu depuis huit mois, le professeur de droit avait plaidé non coupable des accusations de “complot contre l’autorité de l’Etat” et “blanchiment de capitaux” portées contre lui par la cour spéciale qui l’a condamné à l’issue d’un procès de seize heures.
Joël Aïvo, dont la candidature à la présidentielle avait été rejetée, avait été arrêté le 15 avril à Porto-Novo, au lendemain de l’annonce de la réélection du président Patrice Talon avec plus de 86% des voix, puis avait été mis en examen et incarcéré.
Il comparaissait devant la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), tribunal spécial créé en 2016, aux côtés de son financier Alain Gnonlonfoun, et de deux militaires, dont un retraité.
Les deux militaires, Issiakou Boni Sarè et Moudjaïdou Ibrahim Bachabi, ont aussi été condamnés à dix ans de réclusion criminelle, mais Alain Gnonlonfoun a été acquitté au bénéfice du doute.
“Il ne revient pas à la justice criminelle d’arbitrer les adversités politiques”, a déclaré à la barre le professeur Aïvo avant l’annonce de sa condamnation. “Seule la démocratie est éternelle. On peut en sortir mais croyez-moi, on y revient toujours. La démocratie, c’est la sécurité et la sureté pour tous”, a-t-il ajouté.
– “Faites de moi ce que vous voulez” –
Avant de lancer aux juges : “j’ai décidé de faire don de ma personne à notre pays. Vous êtes aussi des enfants de ce pays, faites de moi ce que vous voulez”.
Au rendu du verdict vers 03H00 du matin (02H00 GMT), quelques partisans de l’universitaire condamné étaient toujours présents au tribunal, vêtus de tee-shirts sur lesquels on pouvait lire, “Professeur Aïvo, le peuple béninois est avec vous”.
L’un d’entre eux, Sosthène Armel Gbétchéhou, ancien étudiant de l’opposant condamné a fondu en larmes dénonçant “une justice aux ordres d’un pouvoir” et “un semblant de procès pour effacer de la scène politique un homme dont l’aura politique dérange”.
“Au vue de la tendance générale de la Cour, on s’y attendait. Mais nous avions une petite lueur d’espoir compte tenu de ce que nous avons perçu comme faits et fond du dossier”, a déclaré Me Robert Dossou, avocat de M. Aïvo à l’issue du procès, qui n’a pas précisé s’il allait faire appel de cette condamnation.
La Criet est accusée par ses détracteurs de servir d’instrument judiciaire pour museler l’opposition.Juste avant la présidentielle de 2021, le juge de la chambre des libertés de la Criet Essowé Batamoussi avait quitté ses fonctions et fui le pays, dénonçant des pressions du pouvoir, affirmant “le juge que je suis n’est pas indépendant”.
– “Persécutions judiciaires” –
C’est cette cour qui jugera à partir de vendredi Reckya Madougou, ancienne ministre arrêtée quelques semaines avant le scrutin et accusée d’avoir voulu faire assassiner une personnalité politique pour empêcher l’élection et déstabiliser le pays.
Patrice Talon, richissime homme d’affaires ayant fait fortune dans le coton, élu une première fois en 2016, est accusé par ses détracteurs d’avoir engagé le Bénin dans un tournant autoritaire.
La même cour avait condamné en 2018 Sébastien Ajavon, important opposant arrivé troisième lors de la précédente présidentielle, à 20 ans de prison pour trafic de drogue, a été à nouveau condamné début mars par contumace à une deuxième peine de cinq de prison ferme pour “faux, usage de faux et escroquerie”.
Il vit actuellement en exil, comme la grande majorité des opposants de poids.
La condamnation mardi de M. Aïvo est “encore une preuve des persécutions judiciaires mises en œuvre au Bénin contre les opposants politiques”, a réagi sur Twitter Me Julien Bensimhon, avocat de M. Ajavon. “Cette Criet est une fois de plus utilisée pour tuer civilement ceux qui osent s’opposer à Patrice Talon”, a-t-il ajouté.
afp