Cible d’attaques armées sporadiques depuis deux ans, le nord de la Côte d’Ivoire, frontalier du Mali et du Burkina Faso, affronte une menace terroriste croissante face à laquelle les autorités prônent une réponse sécuritaire en collaboration avec les pays voisins.
A Tengrela, près de la frontière malienne, les ballets de véhicules militaires rythment désormais le quotidien des habitants.
Depuis des menaces d’attaques jihadistes en 2020, directement adressées au bureau du préfet de région, une base militaire a été installée dans la ville. Une présence plutôt bien accueillie par la population.
“On est contents de voir les forces spéciales parmi nous, on sait qu’on est en sécurité”, assure à l’AFP Zié Coulibaly, un chauffeur qui roule dans la zone.
“On est rassurés que les militaires soient là, si on peut en envoyer encore plus, on sera contents!”, plaide Koné Zoumana président d’une coopérative d’orpaillage.
Au sommet de l’Etat ivoirien, on le martèle: la situation dans le nord est sous contrôle.
“Les Ivoiriens peuvent être rassurés, les forces ont été accrues sur cette zone nord et tous les moyens de l’Etat sont mis à disposition pour sécuriser cette frontière nord”, affirme le Premier ministre Patrick Achi.
Plusieurs attaques contre l’armée ont toutefois secoué ces deux dernières années le nord-est du pays, vers la frontière du Burkina Faso, la plus meurtrière étant celle de Kafolo qui a coûté la vie à 14 soldats en juin 2020.
– Base arrière des jihadistes –
La région est attenante au parc de la Comoé, une forêt de 11.000 km² proche du Burkina Faso, qui sert de base arrière pour des groupes jihadistes, principalement liés à Al-Qaida, selon plusieurs sources sécuritaires.
Et si la zone de Tengrela, proche de la frontière malienne, est sous étroite surveillance, elle est pour l’heure relativement épargnée par les attaques.
Le gouvernement ivoirien prend néanmoins la menace au sérieux et prône une collaboration renforcée avec ses voisins pour faire face.
“Aujourd’hui le Burkina Faso et le Mali constituent l’épicentre de la menace teroriste qui descend vers la Côte d’Ivoire. Le gouvernement a tout intérêt à collaborer avec ces Etats”, explique l’expert antiterroriste ivoirien Lassina Diarra.
Vendredi, les chefs d’état-major de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cédeao) se sont engagées à multiplier les opérations conjointes.
La Côte d’Ivoire en mène déjà certaines avec l’armée burkinabè et malienne et bénéficie en outre de l’aide de certains partenaires occidentaux.
Les Etats-Unis ont par exemple débloqué 19,5 millions de dollars sur cinq ans pour le projet “Résilience pour la paix”, visant à aider les communautés frontalières à lutter contre l’extrémisme, en particulier les jeunes.
Un centre de formation de militaires, policiers, gendarmes et magistrats dans la lutte contre le “terorrisme” a été inauguré en juin à Jacqueville, près d’Abidjan, avec le soutien de la France.
La Côte d’Ivoire veut à tout prix éviter un scénario à la burkinabè où les groupes jihadistes ont gagné du terrain dans la plupart du territoire en quelques années, menant des attaques sanglantes presque chaque semaine contre civils et militaires.
– Objectif des jihadistes, le sud –
“L’objectif des terroristes est d’étendre leur hégémonie économique, culturelle et religieuse le plus possible vers le Sud”, reconnaît Fidèle Sarassoro, directeur de cabinet du président ivoirien.
Mais si la Côte d’Ivoire ne connaît pas le même niveau de violence que ses voisins, plusieurs experts mettent en garde contre l’implantation des groupes terroristes au sein des populations.
“La première forme de lutte, avant même la lutte militaire, c’est de faire en sorte que les populations sur votre sol ne s’associent pas à ce genre d’actes totalement inacceptables”, concédait au début du mois le Premier ministre Patrick Achi.
“Les jihadistes proposent de fortes sommes d’argent à leurs nouvelles recrues. Confrontés au manque d’emploi et à la précarité, beaucoup de jeunes peuvent trouver dans le terrorisme jihadiste un emploi rémunérateur”, pointent des travaux du Centre de recherche et d’action pour la paix (Cerap).
Alors existe t-il une réponse ivoirienne au-delà de la réponse sécuritaire?
Le gouvernement assure mener des projets de développement dans le nord du pays, mais certains experts s’interrogent.
“L’Etat oppose une approche purement militaire qui ne permet pas de prendre en compte certaines dyamiques. Les groupes terroristes évoluent sur des dynamiques sociales, sur les carences structurelles de l’Etat avec des discours pouvant séduire des personnes en vue de leur recrutement”, s’inquiète Lassina Diarra qui déplore également des actes de “racket” des forces de sécurité dans la région.
“Il faut d’autres approches pour éviter que le pays bascule comme ce que l’on a connu au Burkina Faso”, conclut-il.
afp