Après bientôt neuf ans d’intervention internationale contre les jihadistes au Mali, les autorités maliennes ne font plus mystère de leur volonté de dialoguer avec leurs chefs, invoquant le précédent afghan malgré la victoire des talibans et le risque d’envenimer la crise avec la France.
Face à l’inexorable extension géographique des violences, l’option de négociations avec les jihadistes maliens, dont le chef touareg Iyad Ag Ghaly et le prédicateur radical peul Amadou Koufa, catégoriquement rejetées par Paris, rencontre un écho croissant, selon les experts.
“Il n’y a pratiquement pas de réunion publique pour discuter des solutions à la crise malienne dans laquelle cette idée de dialogue ne revienne pas en force”, affirme à l’AFP Ibrahim Yahaya Ibrahim, chercheur sur le Sahel à l’International Crisis Group (ICG).
Après une conférence d’entente nationale qui s’était achevée en avril 2017 par une recommandation de discussions avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa, deux des principaux dirigeants du “Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans” (GSIM ou Jnim en arabe), coalition affiliée à Al-Qaïda, l’hypothèse a ressurgi en décembre 2019 lors d’une concertation nationale pour établir une feuille de route de sortie de crise.
“Il y a de fortes chances” que cette question s’impose encore à l’agenda lors des “assises nationales de la refondation” que s’apprête à convoquer, avec une finalité similaire, le gouvernement dominé par les militaires, selon l’analyste Baba Dakono, secrétaire exécutif de l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité (OCGS), basé à Bamako.
Ibrahim Yahaya Ibrahim partage cet avis, “surtout dans ce contexte de bras de fer entre les autorités maliennes et françaises” après les déclarations du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, assimilant la réduction programmée des effectifs français au Sahel à un “abandon en plein vol”.
“Cela fait des années que le peuple malien appelle à des discussions avec ces groupes. Cela ne veut pas dire que nous allons arrêter la lutte contre le terrorisme”, a déclaré M. Maïga à Jeune Afrique. “En Afghanistan, les Américains ont bien fini par discuter avec les talibans”.
Cette “volonté exprimée” par la population s’explique par la “lassitude” face au cycle sans fin des violences mais aussi à leur “endogénisation”, précise Baba Dakono: “Le visage de la menace terroriste au Sahel, et particulièrement au Mali, n’est plus sahraoui ou algérien, c’est un visage malien aujourd’hui”.
– “Terrain d’entente” –
L’exemple afghan donne pourtant des arguments aux opposants aux négociations “car il montre comment le dialogue peut ouvrir les portes du pouvoir aux jihadistes”, d’autant plus que “l’accord entre les Américains et les talibans, pour le Jnim, est une source d’inspiration” revendiquée, souligne Ibrahim Yahaya Ibrahim.
Les partisans d’une solution négociée font valoir qu’au Mali, contrairement à l’Afghanistan, c’est le gouvernement qui engagerait les discussions avec les jihadistes, en bénéficiant toujours du soutien, y compris militaire, de la communauté internationale, poursuit-il.
Le gouvernement vient de formaliser une “mission de bons offices en direction des groupes armés radicaux”, désormais assignée au ministère des Affaires religieuses. L’exécution en est censée être assortie de “lignes rouges”, dit le ministère sans préciser lesquelles.
Les tractations pourraient porter sur les modalités d’application de la charia, déjà imposée par les jihadistes du Jnim dans les zones qu’ils contrôlent, notamment en matière de code vestimentaire, de prohibition de la musique, de l’alcool et du tabac et de la mixité.
“Mais ils font preuve de pragmatisme”, contrairement à leurs rivaux du groupe Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), et s’abstiennent de “couper les mains, lapider, etc” afin d’éviter des tensions supplémentaires avec les communautés locales, note le chercheur de l’ICG.
Ils privilégient également le recours à des cadis (juges islamiques) locaux pour appliquer la charia sur la base d’une jurisprudence familière aux populations, ce qui pourrait créer un “terrain d’entente” avec l’Etat qui lui-même “essaye de valoriser le rôle des cadis locaux”, ajoute-t-il.
Dans un contexte où une multitude d’acteurs et de groupes concurrencent des autorités défaillantes, beaucoup d’enjeux se traiteront à un niveau très local, prévient Niagalé Bagayoko, présidente du Réseau africain du secteur de la sécurité (ASSN).
Qu’il s’agisse des groupes armés signataires d’un accord de paix en 2015 dans le nord, des jihadistes ou des milices “d’autodéfense” dogons dans le centre, “tous ces acteurs ont acquis un contrôle de territoires et un contrôle politique” aux dépens de l’Etat, et, “dans de futures négociations, ne renonceront en rien à ce qu’ils ont réussi à conquérir”, estime-t-elle.