Amboungo Guindo et Bilal Ba s’écharpent depuis trente minutes: assis devant leurs maisons dans une rue de la capitale malienne, ils débattent de politique et de la crise entre Paris et Bamako, avec les Russes en embuscade.
“Vos histoires de Russes là, c’est du n’importe quoi ! Comment peuvent-ils résoudre le problème à 1.000 ?”, demande le premier en citant le nombre supposé de mercenaires russes qui pourraient se déployer au Mali. “Ils vont venir et ils feront mieux que la France”, répond le second.
Aucun des deux hommes, assis au “grin”, un de ces mille lieux de discussions improvisés autour d’un verre de thé dans les ruelles de terre, n’en démord. Mais leurs arguments ont une préoccupation commune, celle de la souveraineté nationale.
Avec les tensions franco-maliennes, celle-ci est au coeur du débat public.
Dans un contexte déjà crispé par une crise sécuritaire sans issue apparente et par deux coups d’Etat en un an, le feu couvait entre le Mali et la France depuis mi-septembre et la révélation que les autorités maliennes sous la coupe des militaires discutaient avec Wagner, société russe de mercenaires aux agissements décriés. Une coopération incompatible pour Paris avec le déploiement au Mali de soldats français combattant les jihadistes.
Le ton est monté comme jamais depuis le début de l’engagement français en 2013 quand, le 25 septembre, à la tribune de l’ONU, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga a qualifié d'”abandon en plein vol” le plan français de réduction de sa présence.
Les mots sont très mal passés chez les officiels français; la réplique du président français Emmanuel Macron, déclarant “démocratiquement nulle” la légitimité du gouvernement malien et accusant les dirigeants de ne pas travailler depuis des mois, n’est pas mieux passée chez ces derniers.
Sans démordre des “questions de fond”, M. Maïga a paru soucieux de déminer le terrain dans un entretien accordé à l’AFP.
– Populisme –
“Le Mali et la France constituent un vieux couple, il y a par moments des scènes de ménage”, a-t-il dit, “mais je ne crois pas que ça va aboutir au divorce”.
Sa diatribe onusienne paraît cependant avoir touché une corde sensible dans un pays en guerre depuis 2012, confronté quotidiennement aux violences et tributaire de l’aide internationale pour échapper à l’abîme.
M. Kokalla Maïga s’est posé en “héros du +Mali is back+ (le Mali est de retour)”, a commenté le site d’informations Benbéré, face à une France jugée “condescendante” par d’autres médias.
“Franchement, aller dire ça à la tribune de l’ONU, ça n’est pas rien”, sourit Amboungo Guindo, un des deux hommes du “grin”.
La présence militaire de la France, ancienne puissance coloniale, fait régulièrement l’objet d’expressions d’animosité, dans la rue ou sur les réseaux sociaux. Elles ont souvent pour corollaires des appels à l’aide à l’adresse de la Russie, appels aux origines pas toujours limpides.
L’idée de la Russie comme recours semble s’être renforcée sous les militaires qui ont pris le pouvoir en 2020.
Les autorités suivent une “stratégie populiste” opposant France et Russie depuis le 24 mai, date à laquelle les militaires ont écarté les autorités civiles transitoires qu’ils avaient mises en place, pour assumer eux-mêmes la présidence et nommer ensuite M. Maïga Premier ministre, rappelle le chercheur Boubacar Haidara.
Les militaires ont alors fait passer le message qu’ils avaient renversé le président de transition parce qu’il “complotait avec la France” et “avait empêché des achats d’armes à la Russie”, ajoute-t-il.
Sans sondage crédible, dans un pays fortement rural, il est difficile de mesurer la réalité de sentiments antifrançais ou prorusse, de même que la popularité ou non des autorités.
– Stratégie payante –
Mais jouer la Russie contre la France “marche très bien” et “a trouvé un écho favorable dans les foyers”, note Boubacar Haidara. D’autant mieux que “l’intervention française n’a pas vraiment permis d’améliorer la situation sécuritaire”, souligne-t-il.
Dans les régions en conflit, le débat semble avoir moins d’écho.
“Ces colonels nous ont promis de se mettre au travail, on voudrait juste qu’ils le fassent”, dit un activiste de Gao, engagé par le passé pour le retour de l’Etat quand les jihadistes tenaient la ville. “Et ce sera forcément avec des partenaires, russes ou français… Seuls, ce sera impossible”, ajoute-t-il.
Les habitants sont “plutôt focalisés sur la sécurité, avoir des revenus et faire vivre sa famille, comme 95% des Maliens”, assure l’ancien Premier ministre Moussa Mara.
“Il y a une poussée de fièvre, elle retombera; elle aura créé des dommages et suscité de la méfiance, c’est dommage”, estime-t-il.
Au “grin”, le débat s’est déplacé sur l’attaque récente à moins de 200 km de Bamako sur un axe essentiel de commerce entre Mali, Sénégal et Mauritanie. Une zone auparavant peu touchée par les violences. “Pendant qu’on parle, les jihadistes, eux, agissent!”, s’inquiète Bilal Ba.
afp